Un génie pour les uns, un talent brut pour les autres. Le monde de la musique, et de la culture en générale, pleure la perte d’un artiste hors norme, une voix singulière, un poète des temps modernes, en la personnes de Bourguiba, décédé à l’âge de 47 ans des suites d’une crise cardiaque survenue en France.
Stupeur jeudi en fin d’après-midi, depuis de soirée. Journalistes, artistes, écrivains et simples amateurs de musique, les hommages poignants en pleuvaient pour saluer la mémoire de l’une des plus belles voix des années 2000, Bourguiba, qui s’est éteint jeudi des suites d’une crise cardiaque, à l’âge de quarante-sept ans. S’il s’était fait rare sur la scène musicale comorienne, hormis quelques apparitions dans des émissions de chant telle que Nyora, l’artiste n’avait de cesse de distiller, les jours qui ont précédé son décès, des reprises piano-voix de ses plus grands tubes sur ses réseaux sociaux. Intemporels, à bien des égards.
C’est à l’aube des années 2000 que Bourguiba fait ses débuts dans la musique. Sa particularité, une timbre de voix qui monte haut dans les aigus et qui deviendra sa signature vocale. Dans une époque où le twarab vit ses dernières heures de gloire, l’émergence du rap et de peu talonné par l’avènement du coupé décalé, il fallait se démarquer si l’on ne pratiquait aucune de ces disciplines. Et Bourguiba a su créer son son. Son univers, hybride : mi R&B, mi zouk. De là, Bourguiba s’impose comme étant le pont entre la musique comorienne et la musique urbaine. Celle-ci par le choix des beats, et le côté comorien se manifestant par l’agilité de la plume qui s’inscrit dans la lignée des plus grands lyricistes de la fin des années 90, début des années 2000 tel que Ardy ou Farid Youssouf.
Une plume hors du commun
Car oui, Bourguiba, c’est surtout un monstre de la plume. Légère et tranchante, crânement élimée dans la langue de Mbae Trambwe et de Molière. Dans les deux cas, l’émotion n’a jamais manqué. Un lyrisme unique en son genre avec lequel, l’artiste a écumé de nombreux maux de la société comorienne : le chômage, les violences faites aux femmes et aux enfants, la justice, les inégalités des chances mais aussi, et surtout, l’amour. C’est du moins la thématique qui revient fréquemment dans ses plus grands tubes tel que My love, Rohoni, ou encore Pvaparo ka ndami nawe. L’artiste a essayé, tant bien que mal, d’inculquer, au travers de sa musique, des valeurs morales, revendiquant, à maintes reprises le droit à la parole, la protection et à la réparation des femmes et enfants victimes de viol, contre la culture du silence. Ses chansons, plus que de simples compositions, des cris d’alarme, des cris de cœur incarnés par une sensibilité inaliénable.
Une histoire de voix
Bourguiba, c’est une voix. Un instant figé. Une émotion qui parcourt une âme. Une éclaircie dans la grisaille d’une jeunesse désœuvrée. Un appel à la prise de conscience, non avec la hargne d’un leader politique, mais avec la douceur de ses mots. Tellement bien aiguisés que la triste réalité enveloppée par son verbe tend à s’évaporer. On serait tenté d’affirmer que l’œuvre de Bourguiba s’apparente à une fresque de la société comorienne dont l’artiste a décidé de se faire l’écho des sans voix. On a effectivement en mémoire le célébrissime Hazi, un cri du cœur à l’endroit de la jeunesse, un hymne à l’auto-détermination, à l’audace et à la provocation de la chance, en attendant un quelconque coup de main des autorités.
Bourguiba s’est éteint, mais son talent, sa voix, sa plume, son charisme demeurent indélébiles dans la mémoire de ceux qu’il a bercés.